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NATASHQUAN

dit un vieil Acadien. Les herbes marines qu’apporte le flot, et les têtes de morue, qui valent mieux, permettent pourtant d’engraisser un peu ce sol infécond et d’en tirer quelque chose. Et tout ce que l’on en tire, ce sont des navets, quand la saison d’été n’est pas trop sèche, et des pommes de terre. Pour ce qui est de celles-ci, une récolte de dix ou douze barils est d’un bon habitant. On ne cultive pas le chou.

Quant aux graminées, il n’y a pas à en parler. On ne sème pas l’avoine, qui ne mûrirait certainement pas. Il y a eu des essais de culture du mil, qui n’ont que médiocrement réussi. Comme il n’y a pas de chevaux dans le pays, le manque de fourrage est sans inconvénients. On garde, il est vrai, des bêtes à cornes pour faire le bois, et surtout pour avoir du lait et du beurre ; mais on les nourrit avec une sorte d’herbe qui croît sur le bord de la mer, et que l’on nomme « foin de dune. » Ces prairies naturelles sont parfois ravagées par les sauterelles qui n’ont pas, sur cette côte, grand’chose à se mettre sous la dent et ne se font pas faute de faire à leur profit la première récolte de ce foin de dune.

La gent moutonnière n’a, ici non plus, aucun représentant, parce qu’il n’y pousse rien dont elle puisse subsister. D’ailleurs les chiens de Natashquan ne seraient pas sur ce chapitre d’humeur plus accommodante que les autres chiens du Labrador. On peut donc dire que, au moins pour les enfants qui n’ont pas voyagé, le mouton est un animal aussi peu connu que le chameau ou le crocodile. Et à ce propos, il me revient qu’un jeune prêtre nouvellement arrivé à la Pointe-aux-Esquimaux, et présidant à l’examen de catéchisme au Couvent de l’endroit, eut l’idée de demander aux petites filles qui « marchaient » pour la première communion : « Sous la figure de quel gentil petit animal représente-t-on quelquefois Notre-Seigneur ? » Personne d’abord ne voulut répondre. À la fin, pourtant, l’une des enfants, après beaucoup d’hésitation, désigna non pas le tendre agneau, mais, au grand scandale du vicaire, un quadrupède tout autre qui, s’il constitue — rôti tout rond — un excellent plat, est loin