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LABRADOR ET ANTICOSTI

en a. Les pêcheurs n’ont pas le temps de faire ces expéditions au capelan ; c’est aux hommes du bord à les fournir de bouette. Or, comme le saleur de la goélette a presque toujours de l’avance sur le trancheur, c’est lui qui est chargé d’entretenir la provision de capelan. Quatre ou cinq goélettes réunissent leurs intérêts en cette matière, et envoient ensemble leurs saleurs, dans une embarcation spéciale, prendre du capelan avec une seine qui mesure de trente à quarante brasses de longueur, sur trois ou quatre brasses de hauteur. Deux fois par jour, le matin et le soir, il faut ainsi aller au capelan, que l’on trouve parfois tout près des goélettes, parfois à trois ou quatre milles de distance. Puis on se partage le butin.

Le lançon, le hareng, l’encornet et les clams ou coques, sont aussi de bonne bouette pour la pêche à eau profonde. On peut même employer le hareng, l’encornet et les clams conservés dans le sel, quand on va au loin, sur les bancs, où l’on ne pourrait guère autrement se procurer de la bouette. C’est là sans doute, avant tout l’affaire de la morue !

Mais d’ordinaire, en ces questions, la morue n’est pas fanatique.

Ainsi, lorsque le capelan est très rare et qu’en même temps la morue s’adonne à mordre bien, on se sert de tout ce que l’on veut en guise de bouette, c’est-à-dire de lard, de viande, d’oiseaux de mer, etc. Car la morue est renommée pour sa gloutonnerie. Il faut dire pourtant que son humeur n’est pas toujours la même. « J’ai vu durant des semaines, me racontait un pêcheur, la morue être abondante au point que la mer en était épaisse. Nous nous servions de bouette très fraîche : eh bien, la morue n’en faisait aucun cas, tellement que deux hommes pouvaient à peine en prendre une vingtaine en deux ou trois heures ! » — Comme à la chasse, alors ! où c’est toujours le gibier qui a tort de ne pas se tenir immobile vis-à-vis le canon du fusil.

Il fallait donner tous ces détails sur la bouette, afin d’empêcher les âmes candides de s’inquiéter de l’endroit où l’équi-