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LABRADOR ET ANTICOSTI

festin que nous fîmes. » Puis l’enthousiasme l’emporte, et il ajoute : « Messieurs les jeunes prêtres que le zèle enflamme, à part les fatigues du voyage dont j’ai parlé, et les autres incommodités dont on ne parle pas, mais qui se devinent (surtout l’isolement), fatigues et incommodités qui vous font brûler du désir de vous consacrer aux missions ; à part encore les douceurs que l’on goûte dans le fond du cœur et que Dieu prodigue à ses missionnaires : vous voyez que, sur la Côte, il y a des moments agréables ! Que de gens sont à la recherche d’une goutte de bonheur ! et combien y en a-t-il qui ont savouré le plaisir de manger un porc-épic rôti à la broche, dans la cabane ? Rari nantes in gurgite vasto. »

Avec de pareilles dispositions, physiques et morales, M. l’abbé Gendron est bien l’homme qu’il fallait pour occuper ce poste pénible de la Pointe-aux-Esquimaux. Assurément, s’il ne s’agissait que de présider aux offices liturgiques dans la belle église de cette paroisse et d’habiter le confortable presbytère qu’il y a là, la tâche ne serait pas extraordinairement difficile. Mais il faut aussi parcourir les Missions et faire ainsi des trajets de centaines de milles, soit pour visiter et réconforter les pauvres missionnaires qui souffrent terriblement de leur isolement, soit pour administrer le sacrement de confirmation. Et ces voyages, on ne les fait pas en char-palais, ni même en nos belles carrioles où l’on étouffe sous les chaudes fourrures ! On n’a d’autre véhicule, au Labrador, que le cométique. « C’est pendant un mois entier, écrivait encore M. Gendron dans le rapport déjà cité, qu’il faut rester sur le cométique, assis sur une petite boîte, sans aucun appui. Le cométique, tranchant la neige, penche tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, et il en résulte que l’on est toujours près de tomber, ce qui arrive aussi de temps en temps ; ou bien les chiens partent tout à coup, et alors on part de son côté, dans une tout autre direction, « les quatre fers en l’air ». On se relève en chantant :

Ah ! relève, relève, relève !
Ah ! relève, relève, Michaud ! »