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ÎLE D’ANTICOSTI

départ de la Longuepointe, nous ne devions rester qu’une nuit seulement sur le yacht, nous n’avions songé que fort sommairement à ravitailler le vaisseau, au moment du départ. Aussi, ces deux jours, nous avons été joliment à l’abri des tentations de gourmandise. Du pain, du beurre et du lard salé : voilà quelle a été la composition de nos repas ; et pour rompre un peu la monotonie de ce menu, nous n’avons trouvé d’autres ressources que celle de changer l’ordre de ces mets. Mais si l’esprit est souvent la dupe du cœur, l’estomac n’est pas si facile à tromper ; il était même déjà à craindre qu’il ne se révoltât, comme il a fait si souvent depuis l’époque bien lointaine de Ménénius Agrippa, quand nous trouvâmes en quelque armoire du biscuit de matelot, que nous accueillîmes comme un dessert exquis. Nous étions évidemment en veine de bonheur, puisqu’en une autre cachette nous fîmes la découverte de quelques harengs saurs ! Il fut aussitôt décidé que le soir même il y aurait à bord un dîner d’apparat en l’honneur…de la Confédération canadienne, dont nous n’avions pu célébrer la fête en son jour propre, à raison des circonstances où nous nous sommes trouvés. La vue d’une voile à l’horizon suffit pourtant pour arrêter tous les préparatifs.

Dans notre détresse, nous avions été jusqu’à souhaiter que le Str Constance, que le gouvernement fédéral met généreusement au service des contrebandiers du Saint-Laurent, vînt à passer dans ces parages, à nous prendre pour des gens en révolte contre les lois de la douane, et nous tirât enfin d’affaire de quelque façon.

Ce n’était pas le Constance qui nous apportait des chaînes ! C’était seulement une barge qui venait à notre rencontre, amenée de la baie des Anglais par le capitaine de l’Aida qui s’en revenait à son vaisseau. À deux heures de l’après-midi, les deux embarcations s’étaient abordées, et nous passions du yacht dans la barge qui devait plus aisément nous rendre à destination, même à la rame, s’il le fallait. Mais auparavant, M. Ellison, capitaine de l’Aida, répondant à nos questions, nous a raconté