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MAGPIE — SAINT-JEAN

çaient les douze barges toutes pavoisées qui nous accompagnèrent tout le temps. J’ai rarement fait un voyage aussi charmant que celui-là. La température était très belle, la mer assez calme, la brise favorable. De chacune des embarcations, dont l’équipage était composé de pêcheurs acadiens, partaient incessamment des détonations d’armes à feu. À voir toutes ces barques légères qui voguaient les unes près des autres, en déployant à la brise leurs voiles blanches ou rouges, on aurait dit un essaim de papillons voletant au gré du vent.

Comme nous approchions de la rivière Saint-Jean, quelques barques en sortirent, vinrent nous rencontrer et se joignirent à notre escorte. Dans l’une de ces embarcations, se trouvait un joueur d’accordéon qui agrémenta fort le reste de notre trajet en épuisant tout son répertoire.

L’entrée de la rivière Saint-Jean est d’un aspect très pittoresque. Cette embouchure est resserrée par une langue de terre qui s’avance de l’est ; quand on l’a franchie, on ne sait plus de quel côté arrive la rivière. On se trouve, en effet, dans un large bassin qui a l’air de se prolonger semblablement dans deux directions différentes. Mais pour peu que l’on se renseigne sur la géographie de l’endroit, on apprend que la baie de l’ouest est le vaste estuaire d’un petit ruisseau qui arrive de l’intérieur, tandis que celle de l’est est l’entrée de la grande rivière Saint-Jean. Entre les deux estuaires, on voit un grand plateau de bonne terre, sur lequel est bâti le village de Saint-Jean.

Il est superflu de dire qu’il y a là un havre de grande étendue et parfaitement sûr pour les goélettes et les petites embarcations. Seulement, dans certaines conditions du vent et de la mer, il est impossible d’y entrer, comme d’en sortir, à cause d’une chaîne de brisants qui se forment, en travers de l’étroit passage qui y donne accès, par suite du peu de profondeur qu’a la mer en cet endroit. « C’est une place farouche », me disait un vieux marin de ce pays. Quelque généreux gouvernement enverra peut-être un jour ses dragueurs pour remédier à cette situation difficile. En attendant, les pêcheurs feront comme par le passé, c’est-à-dire comme ils pourront.