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SHELDRAKE — RIVIÈRE-AU-TONNERRE

ces fortes vagues, longues souvent de plusieurs centaines de pieds, arriver à terre en s’élevant parfois à une hauteur de cinq à six pieds, puis se déverser subitement par le haut, couronnées tout le long d’une crête d’écume blanche comme la neige ! Et aussitôt cette écume bouillonnante recouvre toute la plage, sur une profondeur de vingt à trente pieds, comme d’une dentelle délicatement nuancée, sur laquelle déferle à l’instant une autre lame dont le flot paraît glisser dessus sans y mêler ses eaux. En même temps d’autres vagues viennent incessamment se ruer contre les rochers voisins qui leur barrent la route, et lancent à des hauteurs considérables leurs eaux écumantes. Le bruit de ces vagues qui se brisent de toutes parts, contre les récifs ou sur les sables du rivage, est vraiment formidable ; jour et nuit vous l’entendez, solennel et faisant presque trembler le sol, sur toute cette côte. Ce bruit et ce spectacle, variés toujours dans leur persistance, ont quelque chose de fascinant ! Je comprends chaque jour davantage combien ceux qui ont goûté de la mer, ne peuvent plus s’en passer : navigateurs, pêcheurs, tous ceux qui habitent sur le bord des océans.

L’un de ces soirs, j’allai trouver deux petits Montagnais qui, de la plage, pêchaient la morue. Le plus grand, épiant la minute favorable, lançait au loin, entre deux vagues, sa longue ligne bien amorcée ; tandis que l’autre, dès que le flot se retirait, se hâtait de saisir le petit capelan que la vague avait peut-être étourdi en le projetant avec violence et qui n’avait pas suivi le mouvement de l’onde se retirant : ce petit poisson, c’est la « bouette » dont le grand frère se servira pour garnir le croc de sa ligne.

Je connais des mères qui ne pourraient goûter un instant de repos, s’il leur fallait élever leur famille si près de l’eau. Ces craintes sont justifiées, pour les familles qui habitent sur le bord des rivières ou des lacs ; et trop d’exemples le prouvent chaque été. Les dangers sont bien moindres sur ces rivages en longue déclivité où l’eau n’est profonde que loin de terre. Aussi les accidents sont ici extrêmement rares. Et pourtant, on peut dire