Page:Houssaye - Souvenirs de jeunesse, 1830-1850.djvu/309

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’a jamais eu d’argent ; aussi, pour oraison funèbre elle avait à peine fermé les yeux que les huissiers venaient saisir son mobilier.

Madame Dorval non plus qu’Alfred de Vigny ne criaient pas misère, tant ils vivaient tous les deux dans le septième ciel. Aussi le poète voulait-il toujours paraître un comte millionnaire, il se croyait déjà dans l’Empyrée. Il prenait souvent la solennelle désinvolture d’un dieu. On ne le surprit jamais terre à terre ni dans ses inspirations, ni dans ses amours ; il métamorphosait sa femme et ses maîtresses en archi-déesses de l’Olympe. Jamais l’aristocratie de race ni l’aristocratie littéraire ne s’élevèrent à un tel diapason. Il est vrai que le comte Alfred de Vigny demeurait alors au cinquième étage, presque au septième ciel.

J’allais le voir en voisin au temps où je dirigeais le Théâtre-Français. Avec moi comme avec tout le monde, il jouait du grand seigneur par un orgueil hors de saison. Il n’avait dans son service qu’une cuisinière de second ordre