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LE MANOIR

évanouir le père et la sœur inconsolables. Après m’être fait connaître et avoir raconté ma lugubre histoire, en y mettant autant d’adoucissement que possible, je voulus partir pour m’en revenir aux Trois-Rivières, mais je n’eus pas la force de résister aux instances du noble vieillard, qui m’implorait de rester avec eux jusqu’au lendemain, en disant que ma présence répandait un baume salutaire sur les blessures de son cœur, et qu’il lui semblait avoir retrouvé son fils en moi. De mon côté, privé de mon père, tué dans une sortie contre les Iroquois, ainsi que de ma mère que le chagrin avait bientôt conduite au tombeau, j’éprouvais une sympathie, un attachement presqu’inexplicable pour ce vieillard étranger que je voyais pour la première fois. Comment ne pas aimer ceux qu’on surprend à nous aimer lorsqu’on se croyait à charge au monde entier ? Mlle Joséphine, la sœur chérie de mon excellent ami, qui m’en avait parlé si souvent, il fallait voir comme elle était gentille et aimable lorsque, le coude sur le bras de son fauteuil, la joue cachée sous ses doigts d’ivoire comme pour empêcher que je n’y visse monter la rougeur, et ses beaux yeux noirs fixés timidement sur moi, quand je faisais semblant de ne point la regarder, elle m’écoutait raconter les incidents de la guerre où avait péri son malheureux frère, et décrire la Louisiane et les vastes contrées qui nous en séparent. Pour pouvoir partir le lendemain, je dus promettre de retourner dans huit jours. Je ne sais pourquoi, mais ces huit jours me parurent plus longs que de coutume. Je n’eus garde de manquer à ma promesse. Pour aller au plus court, je vous dirai que je devins bientôt l’ami intime de la famille. Au bout d’un an, j’étais chéri, choyé par M. Pezard de la Touche comme son fils adoptif, et je paraissais n’être pas tout à fait étranger, non plus, à mademoiselle