Je leur apportais donc la céleste colère !
Je venais diviser les coeurs les plus unis,
Et par la main du père assassiner le fils !
Quoi leurs pleurs désormais accuseraient Constance
De la mort d'un héros leur unique espérance ! [1100]
Hélas ! Ce seul penser redouble mes terreurs.
Puisse l'heureuse Inès prévenir ces horreurs.
Je n'ose me flatter du succès qu'elle espère ;
Mais, Madame, à ce prix qu'elle me serait chère !
Et moi dans les chagrins que tous deux m'ont donnés, [1105]
Je les hais d'autant plus que vous leur pardonnez.
Je ne puis voir trop tôt expirer mes victimes ;
Vous avoir méprisée est le plus grand des crimes.
Et comment d'un autre oeil verrais-je l'inhumain,
Qui vous fait le jouet d'un farouche dédain ? [1110]
Dom Pedre a pu lui seul vous faire cet outrage.
C'est un monstre odieux trop digne de ma rage.
Je sens pour vous l'affront que vous ne sentez pas ;
Et je voudrais payer sa mort de mon trépas.
Vous voulez donc le mien ?
L'aimeriez-vous encore ? [1115]
Oui : tout ingrat qu'il est, Madame, je l'adore.
Cachez-moi les transports d'une aveugle fureur ;
Ce sont autant de coups dont vous percez mon coeur.
Il en est plus coupable. Ô fille infortunée !
À quels affreux destins êtes-vous condamnée ! [1120]
Je ne sais ce qu'Inès peut attendre du roi ;
Mais enfin son espoir m'a donné trop d'effroi.