Ne peut-il pas sur nous attendrir le barbare ;
À d'autres sentiments tout à coup l'amener ?
Ingrat ! Ne peut-il pas aussi t'abandonner ?
Quand tu te plais toi-même à trahir ton courage, [1280]
Tremble qu'il ne te laisse achever ton ouvrage.
Si le moment présent ne te sert qu'à gémir,
Crois-tu qu'un autre instant serve à te raffermir ?
Je frémis de l'effroi que ton coeur me témoigne.
Ta passion s'accroît, et le Seigneur s'éloigne. [1285]
Hélas ! Pour se venger de tant d'instants perdus,
Peut-être que sa voix ne te parlera plus.
Ah ! S'il me parle encor, que j'ai peine à l'entendre !
Du trouble de mes sens je ne puis me défendre.
Je ne vois qu'Antigone expirante à mes yeux. [1290]
Quoi, Madame, j'irais en tyran furieux,
Donner de son trépas le décret parricide !
À cet affreux penser mon zèle s'intimide.
Pour elle j'ai juré de vivre et de mourir.
Suis-je donc son époux pour la faire périr ? [1295]
Dans les sombres horreurs de ce cruel martyre,
Je ne décide rien, Madame : mais j'expire.
Expire ; mais, mon fils, expire pour ton dieu.
Qu'Antigone aujourd'hui ne t'en tienne pas lieu.
Si sa religion n'est qu'une indigne feinte, [1300]
Ton amour est un crime aussi bien que ta crainte ;
Si vers la vérité c'est un retour constant,
Meurs, et va lui donner l'exemple ; elle l'attend.
Les juifs vont adopter ta faiblesse ou ton zèle.
Par toi, tout est impie, ou bien tout est fidèle : [1305]
Du salut d'Israël, ou de son jour fatal,
Timide ou généreux, tu donnes le signal.
Au nom de l'alliance à nos aïeux jurée,
Au nom de l'éternel et de l'arche sacrée,
Où Moïse jadis renferma cette loi [1310]