Page:Homère - Odyssée, traduction Séguier, Didot, 1896.djvu/466

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Puis, m’aidant du cordeau, creusant de la tarière,
J’en fis le pied du lit, dans mon art diligent.
Sur ce pied je montai ma couche tout entière,
Qu’à la fin j’enrichis d’or, d’ivoire et d’argent,
Et bordai d’un réseau de lanières pourprines.
Telle est ma preuve, femme ! à présent, je ne sais
Si mon lit est en place, ou si des gens mauvais
Ont, pour le déloger, tranché l’arbre aux racines. »

Il dit ; la reine éprouve un tremblement nerveux,
Car Ulysse a fourni l’indéniable marque.
Elle pleure, et soudain bondit vers le monarque,
Et, lui sautant au cou, baisant ses longs cheveux :
« Pardonne, cher Ulysse, ô toi de la prudence
Le modèle accompli ! Les dieux nous ont frappés,
Car ils n’ont pas voulu combler notre jouvence
Et nous laisser vieillir l’un de l’autre occupés.
Ne m’accable donc point, n’éclate de colère,
Si, dès que je te vis, je ne t’embrassai pas.
Sans cesse ma raison craignait que quelque hère
Ne vînt par ses discours m’induire en un faux pas :
Il est tant d’ourdisseurs de ruse et de malice !
Jamais l’argive Hélène, enfant de Jupiter,
D’un hôte n’eût été l’adultère complice,
Si la belle avait su que les Grecs, par le fer,
Devaient la ramener sur sa grève et chez elle.
Certe un dieu l’a poussée à ce crime honteux ;
Son esprit ne couva cette faute cruelle
Dont il advint pour nous un deuil calamiteux.
Ores que tu m’as fait la peinture vivante
De ce lit nuptial que nul ne soupçonna,
Que nous connûmes seuls, toi, moi, puis la servante