Page:Homère - Odyssée, traduction Séguier, Didot, 1896.djvu/465

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Plus qu’à toutes t’ont fait les fibres malévoles.
Quelle autre aurait l’aplomb d’ainsi se détacher
De l’époux qui revient dans sa terre natale,
Après vingt ans d’absence et d’un lugubre train ?
Nourrice, allons, prépare un lit, que je m’étale
Dessus ; car sa poitrine enferme un cœur d’airain. »

Alors la souveraine, avisée à l’extrême :
« Démon, je ne suis pas de fer, mais un tantet
Sceptique ; je sais trop comment Ulysse était,
Quand d’Ithaque il partit sur sa fière trirème.
Allons, Eurycléa, dresse un coucher moelleux
Dans la chambre d’hymen que lui-même a construite.
Son lit rapporté là, qu’on y jette de suite
Des toisons, des manteaux et des tapis lustreux. »

Cet ordre était un piège ; affecté, vite Ulysse
À sa chaste moitié tient le discours suivant :
« Ô femme, ton parler met mon âme au supplice !
Qui donc ôta mon lit ? le bras le plus savant
N’aurait pu le mouvoir ; seul un dieu volontaire
Tout à coup de sa base est venu l’enlever.
Même dans sa verdeur aucun homme sur terre
Ne le déplacerait ; je vais te le prouver :
Ce chef-d’œuvre est de moi, non d’une autre personne.
Un olivier jadis fleurissait dans la cour,
Plein de sève, touffu, gros comme une colonne.
Je traçai, je bâtis ma chambre tout autour,
Avec d’épais moellons ; je posai la toiture,
J’établis une porte en bois bien agencé.
Après de l’olivier je tondis la ramure.
Au bas coupant le tronc, du fer je l’écorçai ;