Page:Homère - Odyssée, traduction Séguier, Didot, 1896.djvu/427

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Quoi ! cet arc doit priver maint brave de la vie,
Par la seule raison que tu ne l’as tendu ?
C’est qu’au flanc maternel tu ne puisas l’envie
De manier les arcs, les flèches du guerrier ;
Mais d’autres bras plus forts vont le bander sur l’heure. »

Aussitôt s’adressant au maître chevrier :
« Mélanthe, allume donc du feu dans la demeure ;
Avance un large banc recouvert d’une peau ;
Ensuite apporte-nous du suif en boule épaisse,
Afin que par nos preux chauffé, frotté de graisse,
L’arc plie, et que le tir s’achève bien et beau. »

Il a dit, et Mélanthe allume un feu vivace,
Avance un large banc d’une peau recouvert,
Et rapporte de suif une sphérique masse.
Les galants chauffent l’arc, l’éprouvent de concert.
Mais aucun ne le tend ; tous s’épuisent en râles.
Cependant Eurymaque et l’âpre Antinoüs
Se réservent ; ce sont les chefs et les plus mâles.

Eumée en ce moment avec Philétius
S’éloigne des arceaux du divin Laërtide ;
Incontinent le roi se coule derrière eux.
Quand ils ont dépassé le seuil de la cour vide,
Le héros les aborde, et, d’un ton doucereux :
« Bouvier, et toi, porcher, faut-il que je vous glisse
Un mot, ou non ? Ma fibre à parler m’enhardit.
Que feriez-vous céans pour seconder Ulysse,
S’il rentrait tout à coup, qu’un dieu vous le rendît ?
Seriez-vous pour ces chefs ou bien pour votre maître ?
Selon vos sentiments répondez tous les deux. »