Page:Homère - Odyssée, traduction Séguier, Didot, 1896.djvu/417

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Télémaque se tait ; vite aux galants Minerve
Souffle un rire nerveux, égare leur raison.
On les voit déployer une lugubre verve,
En dévorant des chairs sanglantes ; à foison
Leurs pleurs coulent à terre ; en eux règne un deuil sombre.
Le preux Théoclyméne apostrophant ces fous :
« Ô malheureux, quel mal vous crispe ? des flots d’ombre
Enveloppent vos fronts, vos seins et vos genoux.
Un sanglot retentit ; mouillée est toute face.
Ces murs et ces lambris se rougissent de sang.
Portique et cour sont pleins de spectres s’élançant
Au ténébreux Érèbe, et le soleil s’efface
Dans les cieux ; sur nous fond l’horrible obscurité. »

Il dit ; et l’assistance en le raillant se pâme,
Et le fils de Polybe, Eurymaque, s’exclame :
« Ce nouveau commensal est fol en vérité.
Jeunes gens, venez donc ! qu’à la Place on le mène,
Puisque dans ce palais il trouve qu’il fait nuit. »

En réponse aussitôt le preux Théoclymène :
« Prince, il n’est pas besoin que je sois reconduit ;
J’ai des yeux, j’ai deux pieds, des oreilles parfaites,
Et dans moi vibre un cœur que rien n’oblitéra.
Ils m’aideront à fuir, car je vois sur vos têtes
S’amasser un orage auquel n’échappera
Nul de ces Poursuivants, qui chez le noble Ulysse
S’arrogent sur chaque être un injuste pouvoir. »

Ces mots jetés, il sort du pompeux édifice,
Et se rend chez Pirée heureux de le ravoir.