Page:Homère - Odyssée, traduction Séguier, Didot, 1896.djvu/412

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Il dit ; s’avance, et prend la main droite d’Ulysse,
Lui tenant aussitôt ce langage vibreux :
« Salut, père étranger ! désormais sois heureux,
Car sans doute aujourd’hui ton âme est au supplice.
Grand Zeus, aucun des dieux n’est plus cruel que toi ;
Tu plonges dans le deuil, dans une mer d’alarmes,
Les faibles terriens engendrés par ta loi.
Je sue en te mirant, mon œil s’emplit de larmes
Au souvenir d’Ulysse : il erre à toi pareil,
Couvert de tels haillons parmi la foule inique,
S’il vit encore et voit la clarté du soleil.
Mais s’il est mort, s’il vague au cachot Plutonique,
Que je pleure ce preux qui me fit, tout jeunet,
Le chef de son bétail aux champs des Céphallènes !
Et maintenant les bœufs fourmillent ; nul finet
N’accroîtrait mieux les rangs des vachettes sereines.
Mais quoi ! pour leurs festins d’autres m’ont ordonné
D’y faire brèche ; ils n’ont souci du jeune Sire,
Ni peur des dieux vengeurs ; déjà chacun désire
Se partager les biens du père infortuné.
Moi, je me dis souvent dans mon âme sensible :
Tant que le fils existe, il serait très affreux
D’aller à l’étranger, de conduire ces bœufs
Vers des hommes nouveaux ; mais il est plus terrible
De rester à souffrir pour le bétail d’autrui.
Piéça je me serais chez un autre bon prince
En fuyard retiré, si grand est mon ennui ;
Mais non, j’attends encor que de quelque province
L’absent revienne, et chasse au galop les têtus. »

En ces termes repart l’industrieux Ulysse :
« Bouvier, tu n’as pas l’air d’un gueux ni d’un obtus ;