Page:Homère - Odyssée, traduction Séguier, Didot, 1896.djvu/397

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À la fin, saisissant le menton de son maître :
« Ulysse ! ô cher enfant ! Aveugle à ton égard,
Seulement au toucher j’ai pu te reconnaître. »
Cela dit, vers la reine elle lance un regard,
Pour montrer que là même est son époux céleste.
Mais celle-ci ne voit ce regard singulier ;
Minerve a détourné ses yeux. D’une main leste
Le héros tient pourtant sa nourrice au gosier,
Et, l’attirant de l’autre, âprement lui murmure :
« Mère, tu veux me perdre ? Et cependant ton sein
M’allaita. Réchappé de mainte autre blessure,
Je rentre, après vingt ans, au sol ithacéen.
Or, puisque tu sais tout par un dieu qui t’éclaire,
Tais-toi, ne me signale à personne au dedans ;
Car je t’en avertis, ce sera ton salaire,
Si Zeus dompte sous moi les hautains Prétendants,
Point ne t’épargnerai, quoique étant ma nourrice,
Quand les serves du lieu seront mises à mort. »

La prudente Euryclée, apaisant ce transport :
« Ô mon fils, de tes dents quelle parole glisse ?
Tu connais ma vigueur et ses effets certains ;
Je serai comme un roc, un fer impénétrable.
Mais écoute et retiens cette offre secourable :
Si Zeus dompte sous toi les Prétendants hautains,
Du coup je t’apprendrai celles de tes servantes
Qui vivent dans le calme ou d’un train dissolu. »

Incontinent le prince aux manœuvres savantes :
« Pourquoi me les citer ? Mère, c’est superflu ;
Des fourbes je saurai distinguer les loyales.
Mais garde le silence, et laisse faire aux dieux. »