Page:Homère - Odyssée, traduction Séguier, Didot, 1896.djvu/393

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Aucun n’a témoigné plus que toi de sagesse,
Tellement tes discours respirent la raison.
Une vieille me sert, modèle de prudence,
Qui nourrit et soigna le malheureux absent,
Ses bras l’ayant reçu dès qu’eut lieu sa naissance ;
Elle ondoiera tes pieds, malgré l’âge glaçant.
Lève-toi, viens ici, vertueuse Euryclée,
Et lave de ton roi ce vieux contemporain.
Ulysse ainsi peut-être a le pied et la main ;
Le corps vieillit bientôt, quand l’âme est accablée. »

L’ancienne dans ses mains cache, à ces mots, son front,
Verse des pleurs brûlants et clame gémissante :
« Las ! mon fils, à t’aider, moi, je suis impuissante ;
Quoique tu sois dévot, Jupin t’abhorre à fond.
Jamais prince n’offrit autant de cuisses grasses,
D’hécatombes de choix à ce Dieu fulminant,
Alors que tu voulais des jours longs, pleins de grâces,
Dans le but d’élever ton garçon éminent.
Et loin de ton royaume il fera que tu meures !
Sans doute, à l’étranger, des tendrons glorieux
Le raillent quand il entre en de riches demeures,
Comme ces chiennes-ci t’ont raillé, pauvre vieux.
C’est pour fuir les mépris dont leur fiel t’enveloppe,
Que tu n’admets leurs soins ; moi, j’obéis gaîment
À la fille d’Icar, l’auguste Pénélope.
Oui, j’ondoierai tes pieds, pour elle, et mêmement
Pour toi ; car dans mon sein se réveillent d’antiques
Douleurs. Écoute donc ce que j’affirme ici :
Bien des infortunés vinrent sous ces portiques,
Et je n’en vis pas un qui ressemblât ainsi,
Par l’air, l’accent, la taille, au magnanime Ulysse. »