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Mais un tel sentiment ne guide ton cœur vain ;
Jouir sans partager, voilà ce qu’il préfère. »

Le chef Antinoüs riposta mutiné :
« Télémaque langard, sans frein, qu’oses-tu dire ?
Si chacun lui donnait autant que j’ai donné,
Ailleurs pendant trois mois il pourrait se suffire. »

Il dit ; et sous la table empoigna, tint en l’air
Le banc que ses beaux pieds foulaient à son caprice.
Cependant tous donnaient, et de pain et de chair
Emplissaient le bissac ; là vers le seuil Ulysse
Revenait pour goûter des Grecs ce doux octroi,
Lorsque d’intention s’arrêtant près d’Antine :
« Donne, ami, tu n’es pas le moindre, j’imagine,
Mais plutôt le premier ; je me figure un roi.
Plus qu’aucun tu dois donc réconforter ma gêne ;
Je te célébrerai dans l’univers entier.
Jadis riche moi-même, en un logis altier
Je vivais, et toujours j’accueillais un égène,
Quel que fût son état, n’importe son terroir.
Circuit de serviteurs, j’eus tous ces avantages
Qui nous font bienheurer, nous valent mille hommages.
Mais Zeus me les ravit, — tel fut son haut vouloir, —
En me poussant, avec des pillards insulaires,
Vers l’Égypte, voyage auteur de mes guignons.
Dans le fleuve Égyptus j’arrêtai mes galères.
Alors je donnai l’ordre à mes chers compagnons
De rester en gardiens près de chaque mâture ;
Puis au loin j’envoyai des éclaireurs dispos.
Ceux-là, cœurs forcenés, cédant à leur nature,
Ravagèrent soudain les fertiles champeaux,