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Et qui, pour l’obtenir, sera le plus prodigue ?
Mais puisque le forain t’échut sur ce plateau,
Je m’en vais lui donner tunique, fin manteau,
Glaive à double tranchant, chaussures de fatigue,
Et le faire conduire où bon lui semblera.
Toi, si c’est ton plaisir, garde-le dans ta pièce ;
J’enverrai vêtements, vivres de toute espèce :
À nul de vous ainsi l’accueil ne pèsera.
Parmi les prétendants je ne veux pas qu’il vienne,
Car leur outrecuidance a secoué tout frein.
S’ils l’insultaient, mon cœur aurait trop de chagrin.
Contre un flot d’ennemis point de brave qui tienne ;
Au nombre la victoire appartient constamment. »

Le patient Ulysse à l’entretien se mêle :
« Ami, puisque je peux m’expliquer librement,
Sache que mon esprit s’indigne à la nouvelle
Des actes impudents que tous ces boute-feu
Pratiquent au palais, sans respect pour ton âge.
Dis-moi, te soumets-tu volontiers à l’outrage ?
Ton peuple te hait-il, conseillé par un dieu ?
Ou bien accuses-tu ces frères que l’on aime
À trouver près de soi pour lutter en vainqueur ?
Ah ! si j’avais ta force avec mon propre cœur,
Si j’étais fils d’Ulysse, ou ce héros lui-même
Revenu d’outre-mer (comme on peut y compter),
Que mon cou tombe au fil d’une épée homicide,
Si, forçant les salons d’Ulysse Laërtide,
Sur eux tel qu’un fléau je n’allais éclater !
Mais si, combattant seul, me terrassait leur foule,
J’aimerais mieux mourir, tué sous mes lambris,
Que de voir ces forfaits, chaque jour qui s’écoule :