Page:Homère - Odyssée, traduction Séguier, Didot, 1896.djvu/292

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le pain est réparti par Mésaule, homme alerte
Qu’en l’absence du prince, avec ses seuls moyens,
Sans l’aide de la reine et du vieillard Laërte,
Eumée avait acquis de marchands taphiens.
Vers les mets préparés toutes les mains s’étendent ;
Quand on a satisfait la soif et l’appétit,
Mésaule ôte le pain, et les pâtres se rendent,
Entièrement repus, chacun vers son châlit.

Survient une nuit froide et sombre : à flots s’échappe
L’eau du ciel ; le zéphyr souffle tempétueux.
Le roi dit, pour sonder son hôte affectueux
Et voir s’il daignera l’abriter de sa cape,
Ou priera l’un des siens de se montrer galant :
« Écoutez donc, Eumée, et vous, ses camarades !
Je me glorifierai, car le vin affolant
M’y pousse, lui qui fait chanter les plus maussades,
Et les incite à rire, à prestement danser,
À tenir des propos qu’il eût mieux valu taire.
Mais ma bouche est ouverte, il me faut commencer.
Ah ! que ne suis-je encor le jeune militaire
Allant en embuscade au siège d’Ilion !
Ulysse et Ménélas marchaient à notre tête ;
J’étais le chef troisième, à leur noble requête.
Arrivés près la ville et son haut bastion,
Nous restâmes d’aguet blottis sous nos armures,
Au milieu des taillis, des joncs marécageux.
L’ombre vint, noire, affreuse, avec d’âpres murmures ;
En givre se changeaient mille flocons neigeux.
Autour des boucliers s’amoncelait la glace.
Tous les autres, portant chlamydes et chitons,
Paisiblement dormaient, leurs rondaches en place.