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Pour voir s’il rentrerait dans l’ubéreuse Ithaque,
Ouvertement ou non, après tant de chemin.
Ensuite il me jura, la sainte coupe en main,
Qu’il tenait disposés et rameurs et caraque,
Afin de le conduire à son pays natal.
Mais vite il m’embarqua sur une nef thesprote
Cinglant vers Dulichie au terroir fromental.
Par son ordre on devait me remettre comme hôte
Au prince Acaste : hélas ! l’équipage pervers
Complota tout à coup d’augmenter ma détresse,
À peine eut-on quitté la terre enchanteresse,
Éclata son dessein de me vouer aux fers.
On m’enlève à l’instant mon manteau, ma tunique ;
En échange on me baille une chiffe, un haillon :
Tu vois de tes regards ce vêtement cynique.
Dans Ithaque, à la nuit, nous mit notre sillon.
Alors on me lia d’une corde sauvage
Aux madriers du bord ; puis tous ces venimeux
Descendirent souper en un coin du rivage.
Les Célestes pourtant détachèrent mes nœuds
Sans peine ; d’un lambeau composant ma coiffure,
Je coulai du timon, étendis sur les eaux
Ma poitrine, nageai des deux mains en mesure,
Et bientôt je fus loin de mes lâches bourreaux.
J’abordai près d’un bois dont verdoyaient les branches ;
J’y demeurai tapi. Les Thesprotes fiévreux
Fouillaient partout ; mais las de faire buisson creux,
De m’appeler en vain, ils gagnèrent leurs planches,
Pour ne plus revenir. Puisque les dieux constants
À leurs yeux m’ont soustrait, qu’ils m’ouvrent la cabane
D’un mortel sérieux, je dois vivre longtemps. »