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De la poupe, en plein crâne, et sème en jets livides
Sa cervelle et ses os. À l’instar d’un plongeur,
Le corps choit du tillac, sans un souffle de vie.
Mais Zeus tonne et sur nous lance un carreau vengeur.
La nef tournoie, au choc de sa foudre assouvie,
Et de soufre s’empreint ; mes gens roulent dans l’eau.
Ainsi que des pétrels, leur essaim se lamente
Autour du bâtiment : la mer est leur tombeau.

Moi, j’arpentais le pont, quand l’affreuse tourmente
Disloque le vaisseau, que l’onde emportait nu.
Elle arrache le pied de mon mât où pendille
Un long et souple cuir, lambeau d’un bœuf charnu.
Je l’empoigne, j’unis ce tronçon à la quille,
Et, m’asseyant dessus, j’erre au gré des vents noirs.

De Zéphyre pourtant s’éteint l’ardeur rapace ;
Mais quoi ! Notus revient croître mes désespoirs,
Car sous l’âpre Charybde il faut que je repasse.
Je vais toute la nuit ; aux lueurs du matin,
J’effleure, après Scylla, l’autre récif accore,
Au moment que sa bouche engloutissait encore.
D’un élan, je me hisse à son figuier hautain
Et m’y tiens cramponné comme un hibou sauvage,
Mais sans pouvoir fixer mes talons, ni monter,
Car trop loin est sa base, et trop loin le branchage
Dont l’orde Charybdis ose s’agrémenter.
Impavide, j’attends que le monstre vomisse
La quille et le tronçon : enfin je les revois.
À l’heure où va souper le juge en exercice
Qui règle les discords des jeunes gens grivois,
Du trou charybdien ressortent mes épaves.