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À chacun d’eux. Mais toi, si tu veux les entendre,
Fais-toi de pied en cap, sur ton léger bateau,
Lier contre le mât de maint et maint cordeau ;
Aux concerts ton ouïe alors pourra se tendre.
Dis-tu, commandes-tu qu’on t’enlève ces nœuds,
Vite que les compains t’enchaînent de plus belle.
Quand vous aurez franchi ce parage épineux,
Je ne t’indiquerai d’une façon formelle
La voie à parcourir ; mais ton cœur doit opter :
Car sur tes deux chemins je vais être explicite.
Vous trouverez des rocs saillants, que vient heurter
L’infatigable flot de la bleue Amphitrite.
Ces rocs, nos Immortels les surnomment Errants.
Nul oiseau ne les double, aucun ramier célère
Apportant l’ambroisie à Zeus, le divin Père.
Toujours la roche lisse en retient d’expirants,
Et le Père toujours répare ces dommages.
Pas un vaisseau qui puisse en paix s’en approcher ;
Des vagues sans merci, de fulgurants orages
Emportent les marins et leur frêle plancher.
Seul le célèbre Argo, cinglant de chez Éète,
Sortit franc du passage avec sa cargaison.
L’onde l’aurait aussi jeté contre une arête,
Mais Junon le guidait, car elle aimait Jason.
Voilà ces deux écueils : l’un, en fière colonne,
Au ciel monte, coiffé de nuages épais,
Dans tous les temps ; jamais un sourire de paix
N’éclaire son piton, ni l’été ni l’automne.
Eût-il vingt pieds, vingt bras, un mortel assoupli
Ne pourrait le gravir et n’en saurait descendre,
Car son granit luisant ne forme pas un pli.
Une caverne sombre au milieu vient le fendre,