Mais allons ! satisfais mon esprit anxieux :
Comment te prit la Mort toujours en embuscade ?
Est-ce après un long mal ? Diane, à l’arc joyeux,
T’aurait-elle d’un trait suavement atteinte ?
Parle-moi de mon père et de mon cher enfant ;
Dis s’ils règnent encore ou bien si, triomphant,
Quelque autre leur succède et croit ma vie éteinte.
Conte ce que ma femme espère ou veut tenter :
Est-elle avec son fils à garder mon bien stable,
Ou le meilleur des Grecs a-t-il su la capter ? »
Immédiatement ma mère vénérable :
« Pénélope, plongée en de profonds ennuis,
N’a pas quitté ton toit ; dans un deuil inflexible
Elle coule ses jours, ses pitoyables nuits.
Nul homme n’a volé ta place ; mais, paisible,
Télémaque régit ton domaine et prend part
Aux festins, comme il sied à qui rend la justice.
Tous l’invitent. Ton père aux champs reste à l’écart,
N’entre jamais en ville ; il n’a plus le délice
D’un lit couvert de peaux, de tapis merveilleux.
Mais, l’hiver, il s’étend avec la valetaille
Dans les cendres de l’âtre, et s’habille en drilleux.
Puis, l’été, quand de fleurs la verdure s’émaille,
Sur le fertile sol de son vignoble épais
Des feuilles vont formant sa couche misérable.
C’est là qu’il gît navré, déplorant à jamais
Ton destin, et de plus l’âge pesant l’accable.
Moi, j’ai péri soumise à la commune loi.
La svelte sagittaire, au fond de ma demeure,
Ne vint pas m’assaillir d’un trait de bon aloi ;
Aucun de ces grands maux, dont il faut que l’on meure,
Page:Homère - Odyssée, traduction Séguier, Didot, 1896.djvu/223
Cette page a été validée par deux contributeurs.