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J’arrête mon vogueur, à peine dans ces lieux ;
On débarque l’offrande, et nous longeons la grève
Marine, jusqu’au point indiqué par Circé.

Périmède, Euryloque à ma suite ont poussé
Les victimes ; et moi, tirant mon rude glaive,
Je creuse un fossé large en tous sens d’un coudat.
En l’honneur des défunts tout à l’entour j’épanche
Du lait mielleux d’abord, ensuite du muscat,
Enfin de l’eau ; j’ajoute une farine blanche.
Je jure d’immoler à ce peuple en linceul,
Dans Ithaque, au retour, ma plus belle génisse ;
D’allumer un bûcher riche en mainte prémice ;
Puis d’égorger à part, pour Tirésias seul,
Un noir bélier, la fleur de mes verts territoires.
Sitôt que j’ai des morts prié l’illustre essaim,
J’occis près du fossé les corps expiatoires ;
Leur sang noir s’y répand. De l’Érèbe soudain
Sortent des trépassés les âmes frémissantes :
Jeunes femmes, garçons, gérontes souffreteux,
Tendres vierges en proie à des peines récentes,
Puis guerriers transpercés par le fer impiteux,
Tués dans les combats, saignant sous leur armure.
Aux rebords de la fosse, avec des bruits stridents,
Ils se rassemblent tous ; l’angoisse me torture.
J’exhorte toutefois mes pâles adjudants
À dépouiller les chairs que la vie abandonne,
À brûler chaque hostie, à supplier les dieux,
Le redoutable Hadès, l’auguste Perséphone.
Quant à moi, dégainant mon glaive impérieux,
Je m’assieds, et du sang j’éloigne le vain nombre,
Jusqu’à ce que ma voix sonde Tirésias.