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Car il prit d’altiers murs, une contrée entière.
Maintenant à tes pieds nous venons en amis,
Et réclamons de toi la table hospitalière,
Ou quelque doux présent, suivant l’usage admis.
Homme bon, pense au ciel, exauce ma supplique :
Zeus qui guide les pas du timide étranger,
Zeus, ce dieu xénien, ne tarde à les venger. »

Je dis ; et le barbare en ces termes réplique :
« Guerrier, tu perds la tête ou tu viens de très loin,
Toi qui parles d’aimer, de craindre un ciel rigide.
Un cyclope se rit du Maître de l’égide
Et des dieux immortels : il les dompte au besoin.
Je ne t’épargnerai ni toi ni ton escorte
Pour fuir les traits de Zeus, si mon cœur n’y consent.
Mais conte où tu laissas ton bateau valissant.
Est-ce loin ? Près d’ici ? Ce détail-là m’importe. »

Il voulait m’éprouver, mais je sais plus d’un tour ;
Aussi je lui réponds ces mots pleins d’artifice :
« Neptune ébranle-sol, à l’extrême contour
De votre île, a rompu mon flottant édifice
Sur les écueils d’un cap ; la mer a ses débris.
Intact, avec mes gens, d’échapper j’eus la chance. »

J’ai dit, et lui se tait dans un cruel mépris ;
Mais sur mes compagnons, bras tendus, il s’élance,
En saisit deux, les choque, ainsi que d’humbles faons,
Contre terre ; en bouillie éclate leur cervelle.
Il les coupe en morceaux, les mange pêle-mêle.
Comme un lion sorti des déserts étouffants,
Il baffre tout, les chairs, les os moelleux, les tripes.