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Ils ne se cachent pas : nous sommes leurs parents,
Tout comme le Cyclope et la horde Géante. »

Le noble Ulysse alors, de sa voix bienséante :
 « Alcinoüs, conçois des pensers différents.
Je ne ressemble point aux habitants célestes
Ni de corps ni d’esprit, mais aux mortels bornés.
Compare-moi plutôt, vu mes chances funestes,
Aux hommes que tu sais les plus infortunés.
Sûrement je pourrais narrer les maux sans nombre
Que j’ai tous endurés par le vouloir des Dieux.
Mais laissez-moi souper, malgré ma douleur sombre.
Rien n’est plus importun que ce ventre odieux
Dont la nécessité nous rappelle à nous-même,
Quel que soit le chagrin qu’on porte au fond du cœur.
Ainsi j’ai l’âme en deuil, et ce tyran moqueur
Me fait boire et manger ; de ma misère extrême
II m’enjoint l’oubliance, et veut être rempli.
Cependant songez bien, quand reviendra l’Aurore,
À rapatrier vite un humain affaibli
Par tant de coups : avant sa fin, qu’il puisse encore
Voir sa terre, ses gens, son château crénelé. »

Il dit ; l’on bat des mains, on se fait la promesse
De hâter son retour, car il a bien parlé.
Toute libation, toute rasade cesse,
Et chacun pour dormir regagne ses lambris.
L’auguste suppliant demeura dans la salle
Avec le noble Alcine et l’épouse royale.
Les serves du festin ôtèrent les débris.
Or, la blanche Arété prit d’abord la parole,
Car elle reconnut le manteau, le chiton,