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d’aller à la grande salle, vers les Prétendants insolents, tenant à la main l’arc recourbé et le carquois porte-flèches et les flèches terribles qui le remplissaient. Et les servantes portaient le coffre où étaient le fer et l’airain des jeux du Roi.

Et la noble femme, étant arrivée auprès des Prétendants, s’arrêta sur le seuil de la belle salle, un voile léger sur ses joues et deux servantes à ses côtés. Et, aussitôt, elle parla aux Prétendants et elle leur dit :

— Écoutez-moi, illustres Prétendants qui, pour manger et boire sans cesse, avez envahi la maison d’un homme absent depuis longtemps, et qui dévorez ses richesses, sans autre prétexte que celui de m’épouser. Voici, ô Prétendants, l’épreuve qui vous est proposée. Je vous apporte le grand arc du divin Odysseus. Celui qui, de ses mains, tendra le plus facilement cet arc et lancera une flèche à travers les douze haches, je le suivrai, et il me conduira loin de cette demeure qui a vu ma jeunesse, qui est belle et pleine d’abondance, et dont je me souviendrai, je pense, même dans mes songes.

Elle parla ainsi et elle ordonna au porcher Eumaios de porter aux Prétendants l’arc et le fer brillant. Et Eumaios les prit en pleurant et les porta ; et le Bouvier pleura aussi en voyant l’arc du Roi. Et Antinoos les réprimanda et leur dit :

— Rustres stupides, qui ne pensez qu’au jour le jour, pourquoi pleurez-vous, misérables, et remuez-vous ainsi dans sa poitrine l’âme de cette femme qui est en proie à la douleur, depuis qu’elle a perdu son cher mari ? Mangez en silence, ou allez pleurer dehors et laissez ici cet arc. Ce sera pour les Prétendants une épreuve difficile, car je ne pense pas qu’on tende aisément cet arc poli. Il n’y a point ici un seul homme tel que Odysseus. Je l’ai vu moi-même, et je m’en souviens, mais j’étais alors un enfant.