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à Doulikhios. Et il ordonna de me mener au Roi Akastos ; mais ces hommes prirent une résolution funeste pour moi, afin, sans doute, que je subisse toutes les misères. Quand la nef fut éloignée de terre, ils songèrent aussitôt à me réduire en servitude ; et, m’arrachant mon vêtement, mon manteau et ma tunique, ils jetèrent sur moi ce misérable haillon et cette tunique déchirée, tels que tu les vois. Vers le soir ils parvinrent aux champs de la riante Ithakè, et ils me lièrent aux bancs de la nef avec une corde bien tordue ; puis ils descendirent sur le rivage de la mer pour prendre leur repas. Mais les Dieux eux-mêmes détachèrent aisément mes liens. Alors, enveloppant ma tête de ce haillon, je descendis à la mer par le gouvernail, et pressant l’eau de ma poitrine et nageant des deux mains, j’abordai très loin d’eux. Et je montai sur la côte, là où croissait un bois de chênes touffus, et je me couchai contre terre, et ils me cherchaient en gémissant ; mais, ne me voyant point, ils jugèrent qu’il était mieux de ne plus me chercher ; car les Dieux m’avaient aisément caché d’eux, et ils m’ont conduit à l’étable d’un homme excellent, puisque ma destinée est de vivre encore.

Et le porcher Eumaios lui répondit :

— Ô Étranger très-malheureux, certes, tu as fortement ému mon cœur en racontant les misères que tu as subies et tes courses errantes ; mais, en parlant d’Odysseus, je pense que tu n’as rien dit de sage, et tu ne me persuaderas point. Comment un homme tel que toi peut-il mentir aussi effrontément ? Je sais trop que penser du retour de mon maître. Certes, il est très-odieux à tous les Dieux, puisqu’ils ne l’ont point dompté par la main des Troiens, ou qu’ils ne lui ont point permis, après la guerre, de mourir entre les bras de ses amis. Car tous les Akhaiens lui eussent élevé un tombeau, et une grande gloire eût été accordée à son fils dans l’avenir. Et maintenant les Harpyes