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qui Zeus accorde le butin, et qui reviennent vers leurs demeures avec des nefs pleines, sentent l’inquiétude et la crainte dans leurs âmes. Mais ceux-ci ont appris sans doute, ayant entendu la voix d’un Dieu, la mort fatale d’Odysseus, car ils ne veulent point rechercher des noces légitimes, ni retourner chez eux ; mais ils dévorent immodérément, et sans rien épargner, les biens du Roi ; et, toutes les nuits et tous les jours qui viennent de Zeus, ils sacrifient, non pas une seule victime, mais deux au moins. Et ils puisent et boivent le vin sans mesure. Certes, les richesses de mon maître étaient grandes. Aucun héros n’en avait autant, ni sur la noire terre ferme, ni dans Ithakè elle-même. Vingt hommes n’ont point tant de richesses. Je t’en ferai le compte : douze troupeaux de bœufs sur la terre ferme, autant de brebis, autant de porcs, autant de larges étables de chèvres. Le tout est surveillé par des pasteurs étrangers. Ici, à l’extrémité de l’île, onze grands troupeaux de chèvres paissent sous la garde de bons serviteurs ; et chacun de ceux-ci mène tous les jours aux Prétendants la meilleure des chèvres engraissées. Et moi, je garde ces porcs et je les protége, mais j’envoie aussi aux Prétendants le meilleur et le plus gras.

Il parla ainsi, et Odysseus mangeait les chairs et buvait le vin en silence, méditant le malheur des Prétendants. Après qu’il eut mangé et bu et satisfait son âme, Eumaios lui remit pleine de vin la coupe où il avait bu lui-même. Et Odysseus la reçut, et, joyeux dans son cœur, il dit à Eumaios ces paroles ailées :

— Ô ami, quel est cet homme qui t’a acheté de ses propres richesses, et qui, dis-tu, était si riche et si puissant ? Tu dis aussi qu’il a péri pour la cause d’Agamemnôn ? Dis-moi son nom, car je le connais peut-être. Zeus et les autres Dieux immortels savent, en effet, si je viens vous annoncer que je l’ai vu, car j’ai beaucoup erré.