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ni un bœuf, ni une brebis. Mangez tranquillement les vivres que nous a donnés l’immortelle Kirkè.

Je parlai ainsi, et, aussitôt, ils me le jurèrent comme je l’avais ordonné. Et, après qu’ils eurent prononcé toutes les paroles du serment, nous arrêtâmes la nef bien construite, dans un port profond, auprès d’une eau douce ; et mes compagnons sortirent de la nef et préparèrent à la hâte leur repas. Puis, après s’être rassasiés de boire et de manger, ils pleurèrent leurs chers compagnons que Skyllè avait enlevés de la nef creuse et dévorés. Et, tandis qu’ils pleuraient, le doux sommeil les saisit. Mais, vers la troisième partie de la nuit, à l’heure où les astres s’inclinent, Zeus qui amasse les nuées excita un vent violent, avec de grands tourbillons ; et il enveloppa la terre et la mer de brouillards, et l’obscurité tomba de l’Ouranos.

Et quand Éôs aux doigts rosés, née au matin, apparut, nous traînâmes la nef à l’abri dans une caverne profonde. Là étaient les belles demeures des Nymphes et leurs siéges. Et alors, ayant réuni l’agora, je parlai ainsi :

— Ô amis, il y a dans la nef rapide à boire et à manger. Abstenons-nous donc de ces bœufs, de peur d’un grand malheur. En effet, ce sont les bœufs terribles et les illustres troupeaux d’un Dieu, de Hèlios, qui voit et entend tout.

Je parlai ainsi, et leur esprit généreux fut persuadé. Et, tout un mois, le Notos souffla perpétuellement ; et aucun des autres vents ne soufflait, que le Notos et l’Euros. Et aussi longtemps que mes compagnons eurent du pain et du vin rouge, ils s’abstinrent des bœufs qu’ils désiraient vivement ; mais quand tous les vivres furent épuisés, la nécessité nous contraignant, nous fîmes, à l’aide d’hameçons recourbés, notre proie des poissons et des oiseaux qui nous tombaient entre les mains. Et la faim tourmentait notre ventre.