Page:Homère - Odyssée, traduction Leconte de Lisle, 1893.djvu/190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

croyais apercevoir d’abord la rocheuse Skyllè apportant la mort à mes compagnons. Mais je ne pus la voir, mes yeux se fatiguaient à regarder de tous les côtés de la Roche noire.

Et nous traversions ce détroit en gémissant. D’un côté était Skyllè ; et, de l’autre, la divine Kharybdis engloutissait l’horrible eau salée de la mer ; et, quand elle la revomissait, celle-ci bouillonnait comme dans un bassin sur un grand feu, et elle la lançait en l’air, et l’eau pleuvait sur les deux écueils. Et, quand elle engloutissait de nouveau l’eau salée de la mer, elle semblait bouleversée jusqu’au fond, et elle rugissait affreusement autour de la Roche ; et le sable bleu du fond apparaissait, et la pâle terreur saisit mes compagnons. Et nous regardions Kharybdis, car c’était d’elle que nous attendions notre perte ; mais, pendant ce temps, Skyllè enleva de la nef creuse six de mes plus braves compagnons. Et, comme je regardais sur la nef, je vis leurs pieds et leurs mains qui passaient dans l’air ; et ils m’appelaient dans leur désespoir.

De même qu’un pêcheur, du haut d’un rocher, avec une longue baguette, envoie dans la mer, aux petits poissons, un appât enfermé dans la corne d’un bœuf sauvage, et jette chaque poisson qu’il a pris, palpitant, sur le rocher ; de même Skyllè emportait mes compagnons palpitants et les dévorait sur le seuil, tandis qu’ils poussaient des cris et qu’ils tendaient vers moi leurs mains. Et c’était la chose la plus lamentable de toutes celles que j’aie vues dans mes courses sur la mer.

Après avoir fui l’horrible Kharybdis et Skyllè, nous arrivâmes à l’île irréprochable du Dieu. Et là étaient les bœufs irréprochables aux larges fronts et les gras troupeaux du Hypérionide Hèlios. Et comme j’étais encore en mer, sur la nef noire, j’entendis les mugissements des bœufs dans les étables et le bêlement des brebis ; et la parole du Divi-