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couche. Délibérons donc promptement, s’il est nécessaire ; mais je ne le pense pas. Du faîte de la hauteur où j’ai monté, j’ai vu que cette terre est une île que la mer sans bornes environne. Elle est petite, et j’ai vu de la fumée s’élever à travers une forêt de chênes épais.

Je parlai ainsi, et leur cher cœur fut brisé, se souvenant des crimes du Laistrygôn Antiphatès et de la violence du magnanime Kyklôps mangeur d’hommes. Et ils pleuraient, répandant des larmes abondantes. Mais il ne servait à rien de gémir. Je divisai mes braves compagnons, et je donnai un chef à chaque troupe. Je commandai l’une, et Eurylokhos semblable à un Dieu commanda l’autre. Et les sorts ayant été promptement jetés dans un casque d’airain, ce fut celui du magnanime Eurylokhos qui sortit. Et il partit à la hâte, et en pleurant, avec vingt-deux compagnons, et ils nous laissèrent gémissants.

Et ils trouvèrent, dans une vallée, en un lieu découvert, les demeures de Kirkè, construites en pierres polies. Et tout autour erraient des loups montagnards et des lions. Et Kirkè les avait domptés avec des breuvages perfides ; et ils ne se jetaient point sur les hommes, mais ils les approchaient en remuant leurs longues queues, comme des chiens caressant leur maître qui se lève du repas, car il leur donne toujours quelques bons morceaux. Ainsi les loups aux ongles robustes et les lions entouraient, caressants, mes compagnons ; et ceux-ci furent effrayés de voir ces bêtes féroces, et ils s’arrêtèrent devant les portes de la Déesse aux beaux cheveux. Et ils entendirent Kirkè chantant d’une belle voix dans sa demeure et tissant une grande toile ambroisienne, telle que sont les ouvrages légers, gracieux et brillants des Déesses. Alors Polytès, chef des hommes, le plus cher de mes compagnons, et que j’honorais le plus, parla le premier :

— Ô amis, quelque femme, tissant une grande toile,