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naître le pays. Mais, comme, déjà, j’étais près de ma nef, un Dieu qui, sans doute, eut compassion de me voir seul, envoya sur ma route un grand cerf au bois élevé qui descendait des pâturages de la forêt pour boire au fleuve, car la force de Hèlios le poussait. Et, comme il s’avançait, je le frappai au milieu de l’épine du dos, et la lame d’airain le traversa, et, en bramant, il tomba dans la poussière et son esprit s’envola. Je m’élançai, et je retirai la lance d’airain de la blessure. Je la laissai à terre, et, arrachant toute sorte de branches pliantes, j’en fis une corde tordue de la longueur d’une brasse, et j’en liai les pieds de l’énorme bête. Et, la portant à mon cou, je descendis vers ma nef, appuyé sur ma lance, car je n’aurais pu retenir un animal aussi grand, d’une seule main, sur mon épaule. Et je le jetai devant la nef, et je ranimai mes compagnons en adressant des paroles flatteuses à chacun d’eux :

— Ô amis, bien que malheureux, nous ne descendrons point dans les demeures d’Aidès avant notre jour fatal. Allons, hors de la nef rapide, songeons à boire et à manger, et ne souffrons point de la faim.

Je parlai ainsi, et ils obéirent à mes paroles, et ils descendirent sur le rivage de la mer, admirant le cerf, et combien il était grand. Et après qu’ils se furent réjouis de le regarder, s’étant lavé les mains, ils préparèrent un excellent repas. Ainsi, tout le jour, jusqu’à la chute de Hèlios, nous restâmes assis, mangeant les chairs abondantes et buvant le vin doux. Et quand Hèlios tomba et que les ombres survinrent, nous nous endormîmes sur le rivage de la mer. Et quand Éôs aux doigts rosés, née au matin, apparut, alors, ayant convoqué l’agora, je parlai ainsi :

— Écoutez mes paroles et supportez patiemment vos maux, compagnons. Ô amis ! nous ne savons, en effet, où est le couchant, où le levant, de quel côté Hèlios se lève sur la terre pour éclairer les hommes, ni de quel côté il se