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que mortel a-t-il enlevé tes brebis ? Quelqu'un veut-il te tuer par force ou par ruse ?

Et le robuste Polyphèmos leur répondit du fond de son antre :

— Ô amis, qui me tue par ruse et non par force ? Personne.

Et ils lui répondirent en paroles ailées :

— Certes, nul ne peut te faire violence, puisque tu es seul. On ne peut échapper aux maux qu'envoie le grand Zeus. Supplie ton père, le roi Poseidaôn.

Ils parlèrent ainsi et s'en allèrent. Et mon cher cœur rit, parce que mon nom les avait trompés, ainsi que ma ruse irréprochable.

Mais le Kyklôps, gémissant et plein de douleurs, tâtant avec les mains, enleva le rocher de la porte, et, s'asseyant là, étendit les bras, afin de saisir ceux de nous qui voudraient sortir avec les brebis. Il pensait, certes, que j'étais insensé. Aussitôt, je songeai à ce qu'il y avait de mieux à faire pour sauver mes compagnons et moi-même de la mort. Et je méditai ces ruses et ce dessein, car il s'agissait de la vie, et un grand danger nous menaçait. Et ce dessein me parut le meilleur dans mon esprit.

Les mâles des brebis étaient forts et laineux, beaux et grands, et ils avaient une laine de couleur violette. Je les attachai par trois avec l'osier tordu sur lequel dormait le Kyklôps monstrueux et féroce. Celui du milieu portait un homme, et les deux autres, de chaque côté, cachaient mes compagnons. Et il y avait un bélier, le plus grand de tous. J'embrassai son dos, suspendu sous son ventre, et je saisis fortement de mes mains sa laine très-épaisse, dans un esprit patient. Et c'est ainsi qu'en gémissant nous attendîmes la divine Éôs.

Et quand Éôs aux doigts rosés, née au matin, apparut, alors le Kyklôps poussa les mâles des troupeaux au pâtu-