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Ô excellent, respecte les Dieux, car nous sommes tes suppliants, et Zeus est le vengeur des suppliants et des étrangers dignes d'être reçus comme des hôtes vénérables.

Je parlai ainsi, et il me répondit avec un cœur farouche :

— Tu es insensé, ô Étranger, et tu viens de loin, toi qui m'ordonnes de craindre les Dieux et de me soumettre à eux. Les Kyklopes ne se soucient point de Zeus tempétueux, ni des Dieux heureux, car nous sommes plus forts qu'eux. Pour éviter la colère de Zeus, je n'épargnerai ni toi, ni tes compagnons, à moins que mon âme ne me l'ordonne. Mais dis-moi où tu as laissé, pour venir ici, ta nef bien construite. Est-ce loin ou près ? que je le sache.

Il parla ainsi, me tentant ; mais il ne put me tromper, car je savais beaucoup de choses, et je lui répondis ces paroles rusées :

— Poseidaôn qui ébranle la terre a brisé ma nef poussée contre les rochers d'un promontoire à l'extrémité de votre terre, et le vent l'a jetée hors de la mer et, avec ceux-ci, j'ai échappé à la mort.

Je parlai ainsi, et, dans son cœur farouche, il ne me répondit rien ; mais, en se ruant, il étendit les mains sur mes compagnons, et il en saisit deux et les écrasa contre terre comme des petits chiens. Et leur cervelle jaillit et coula sur la terre. Et, les coupant membre à membre, il prépara son repas. Et il les dévora comme un lion montagnard, et il ne laissa ni leurs entrailles, ni leurs chairs, ni leurs os pleins de moelle. Et nous, en gémissant, nous levions nos mains vers Zeus, en face de cette chose affreuse, et le désespoir envahit notre âme.

Quand le Kyklôps eut empli son vaste ventre en mangeant les chairs humaines et en buvant du lait sans mesure, il s'endormit étendu au milieu de l'antre, parmi ses troupeaux. Et je voulus, dans mon cœur magnanime, tirant mon épée aiguë de la gaîne et me jetant sur lui, le frapper