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raison, parcequ’il sanglotta toujours & qu’il ne lui fut jamais permis de perdre de vue ses craintes. Il devint l’ennemi de lui-même & de ses semblables, parce qu’on lui persuada que le bien-être lui étoit ici bas interdit. Toutes les fois qu’il fut question de son tyran céleste il n’eut plus de jugement, il ne raisonna plus, il tomba dans un état d’enfance ou de délire qui le soumit à l’autorité. L’homme fut destiné à la servitude dès le sein de sa mère, & l’opinion tyrannique le força de porter ses fers pendant le reste de ses jours. En proie aux terreurs paniques que l’on ne discontinua point de lui inspirer, il ne parut être venu sur la terre que pour y rêver, y gémir, y soupirer, se nuire à lui-même, se priver de tout plaisir, se rendre la vie amère ou troubler la félicité des autres. Perpétuellement infesté par les terribles chimeres que son imagination en délire lui présenta sans cesse, il fut abject, stupide, déraisonnable, & souvent il devint méchant pour honorer le dieu qu’on lui proposa pour modèle ou qu’on lui dit de venger.

C’est ainsi que les mortels se prosternent de race en race devant les vains phantômes que la crainte dans l’origine fit éclore au sein de l’ignorance & des calamités de la terre. C’est ainsi qu’ils adorent en tremblant les vaines idoles qu’ils élèvent dans les profondeurs de leur propre cerveau, dont ils ont fait un sanctuaire : rien ne peut les détromper, rien ne peut leur faire sentir que c’est eux-mêmes qu’ils adorent, qu’ils tombent à genoux devant leur propre ouvrage, qu’ils s’effrayent du tableau bizarre qu’ils ont eux-mêmes tracé ; ils s’obstinent à se prosterner, à s’inquiéter, à trembler ;