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blesser sa justice, en un mot semblable aux princes les plus pervers ; la théologie à force de rêveries perdit, comme on a dit, la nature humaine de vue, & pour rendre la divinité plus différente de ses créatures, elle lui assigna en outre des qualités si merveilleuses, si étranges, si éloignées de tout ce que notre esprit peut concevoir, qu’elle s’y perdit elle-même ; elle se persuada, sans doute, que par là même ces qualités étoient divines ; elle les crut dignes de Dieu parce que nul homme ne put s’en faire aucune idée. On parvint à persuader aux hommes qu’il falloit croire ce qu’ils ne pouvoient concevoir ; qu’il falloit recevoir avec soumission des systêmes improbables & des conjectures contraires à la raison ; que cette raison étoit le sacrifice le plus agréable que l’on pût faire à un maître fantasque, qui ne vouloit pas que l’on fit usage de ses dons. En un mot on fit croire aux mortels qu’ils n’étoient pas faits pour comprendre la chose la plus importante pour eux[1]. D’un autre côté l’homme se persuada que les attributs gigantesques, & vraiment incompréhensibles que l’on assignoit à son monarque céleste, mettoient entre lui & ses esclaves un intervalle assez grand, pour que ce maître suprême ne fût point offensé de la comparaison ; il se promit que son despote orgueilleux lui sauroit gré des efforts qu’il feroit pour le rendre plus grand, plus merveilleux, plus puissant, plus arbitraire, plus inaccessible aux regards de ses foibles sujets. Les hommes sont toujours dans l’idée que ce qu’ils

  1. Il est évident que toute religion est fondée sur le principe absurde, que l’homme est obligé de croire fermement ce qu’il est dans l’impossibilité la plus totale de comprendre. Suivant les notions de la théologie même, l’homme par sa nature doit être dans une ignorance invincible relativement à Dieu.