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sont-elles donc faites pour être connues que d’un petit nombre de penseurs ou de métaphysiciens ? En la faisant dériver d’un dieu, que personne ne voit que dans lui-même, & qu’il façonne d’après ses propres idées, c’est la soumettre au caprice de chaque homme ; en la faisant dériver d’un être que nul homme sur la terre ne peut se vanter de connoître, c’est dire que l’on ne sçait de qui elle peut nous venir. Quel que soit l’agent de qui l’on fait dépendre la nature & tous les êtres qu’elle renferme ; quelque puissance qu’on lui suppose, il pourra bien faire que l’homme existe ou n’existe point, mais dès qu’il l’aura fait ce qu’il est, dès qu’il l’aura rendu sensible, amoureux de son être, vivant en société, il ne pourra sans l’anéantir ou le refondre faire qu’il existe autrement. D’après son essence, ses qualités, ses modifications actuelles, qui le constituent un être de l’espèce humaine, il lui faut une morale, & le desir de se conserver lui fera préférer la vertu au vice, par la même nécessité qui lui fait préférer le plaisir à la douleur[1].

Dire que sans idée de Dieu l’homme ne peut point avoir de sentimens moraux, c’est-à-dire, ne peut point distinguer le vice de la vertu, c’est prétendre que sans idée de Dieu l’homme ne senti-

  1. Suivant la théologie, l’homme a besoin de grâces surnaturelles pour faire le bien ; cette doctrine fut sans doute très-nuisible à la saine morale. Les hommes attendirent toujours les grâces d’en haut pour bien faire, et ceux qui les gouvernèrent n’employèrent jamais les grâces d’en bas, c’est-à-dire, les motifs naturels pour les exciter à la vertu. Cependant Tertullien dit : pourquoi vous mettre en peine de chercher la loi de Dieu, tandis que vous avez celle qui est commune à tout le monde et qui est écrite sur les tables de la nature ?