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re autrement que par un mot auquel il nous est impossible d’attacher aucune idée véritable[1]. Ainsi à force de rêver & de subtiliser, le mot dieu ne présenta plus aucune image ; dès qu’on voulut en parler, il fut impossible de s’entendre, vu que chacun se le peignit à sa manière, & dans le portrait qu’il s’en fit, ne consulta que son propre tempérament, son imagination propre, ses rêveries particulières ; si l’on s’accorda sur quelques points, ce fut pour lui assigner des qualités inconcevables, que l’on crut convenir à l’être inconcevable que l’on avoit enfanté ; & de l’amas incompatible de ces qualités, il ne résulta qu’un tout parfaitement impossible. Enfin le maître de l’univers, le moteur tout puissant de la nature, l’être que l’on annonça comme le plus important à connoître, fut, par les rêveries théologiques, réduit à n’être plus qu’un mot vague & dépourvu de sens, ou plutôt un vain son auquel chacun attacha ses propres idées. Tel est le dieu que l’on

  1. Voyez ce qui a été dit là-dessus dans le chapitre 7, de la première partie. Quoique les premiers docteurs de l’église chrétienne eussent pour la plupart puisé dans la philosophie platonicienne leurs notions obscures de-spiritualité de substances incorporelles et immatérielles, de puissances intellectuelles, etc. on n’a qu’à ouvrir leurs ouvrages pour se convaincre qu’ils n’avaient point de Dieu l’idée que les théologiens voudraient nous en donner aujourd’hui. Tertullien, comme on l’a dit ailleurs, regardait Dieu comme corporel. Sérapion disoit en pleurant, qu’on lui avait ôté son Dieu en lui faisant adopter l’opinion de la spiritualité, qui cependant n’était pas aussi subtilisée pour lors qu’elle l’a été depuis. Plusieurs pères de l’église ont donné une forme humaine à Dieu, et ont traité d’hérétiques ceux qui en faisaient un esprit. Le Jupiter de la théologie payenne est regardé comme le plus jeune des enfans de Saturne ou du Temps ; le Dieu spirituel des chrétiens est un produit du temps bien plus récent encore ; ce n’est qu’à force de Subtiliser que ce Dieu vainqueur de tous les dieux qui l’avaient précédé, a pu se former peu-à-peu. La spiritualité est devenue le dernier retranchement de la théologie, qui est parvenue à faire un dieu plus qu’aérien dans l’espérance, sans doute, qu’un pareil Dieu serait inattaquable ; il l’est en effet, vu que l’attaquer, c’est combattre une pure chimère.