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l’objet constant de la prédilection divine, & qui fait son dieu d’après son propre modèle, nous ne voyons qu’une machine plus mobile, plus frêle, plus sujette à se déranger par sa grande complication que celle des êtres les plus grossiers. Les bêtes dépourvues de nos connoissances, les plantes qui végétent, les pierres privées de sentiment, sont à bien des égards des êtres plus favorisés que l’homme ; ils sont au moins exempts des peines de l’esprit, des tourmens de la pensée des chagrins dévorans dont celui-ci est si souvent la proie. Qui est-ce qui ne voudroit point être un animal ou une pierre toutes les fois qu’il se rappelle la perte irréparable d’un objet aimé ? Ne vaudroit-il pas mieux être une masse inanimée qu’un superstitieux inquiet qui ne fait que trembler ici bas sous le joug de son dieu, & qui prévoit encore des tourmens infinis dans une vie future ? Les êtres privés de sentiment, de vie, de mémoire & de pensée ne sont point affligés par l’idée du passé, du présent & de l’avenir ; ils ne se croient pas en danger de devenir éternellement malheureux pour avoir mal raisonné, comme tant d’êtres favorisés qui prétendent que c’est pour eux que l’architecte du monde a construit l’univers[1].

Que l’on ne nous dise point que nous ne pou-

  1. Cicéron dit : Inler hominem et belluam hoc maximè interest^quod hœc ad id solum quod adest, quodque prœsens est, se accommodât, paululum admodum sentiens prœteritum et futurum. Ainsi ce qu’on a voulu faire passer pour une prérogative de l’homme n’est qu’un desavantage réel. Sénèque a dit : nos et venturo torcjuemur et prœterito, timoris enim tormentum memoria reducit, providentia anticipai ; nemo tantum prœsentibus miser est Ne pourrait-on pas demander à tout homme de bien, qui nous dirait qu’un Dieu bon a créé l’univers pour le bonheur de notre espèce sensible, voudriez-vous, vous-mêmes, avoir créé un monde qui renferme tant d’infortunés ? Ne valait-il pas mieux s’abstenir de créer un si grand nombre d’êtres sensibles, que de les appeler à la v ie pour souffrir.