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Préface

de

l’Auteur.

Lhomme n’eſt malheureux que parcequ’il méconnoît la Nature. Son Eſprit eſt tellement infecté de préjugés qu’on le croiroit pour toujours condamné à l’erreur : le bandeau de l’opinion, dont on le couvre dès l’enfance lui eſt ſi fortement attaché, que c’eſt avec la plus grande difficulté qu’on peut le lui ôter. Un levain dangereux ſe mêle à toutes ſes connoiſſances & les rend néceſſairement flottantes, obſcures & fauſſes : il voulut pour ſon malheur, franchir les bornes de ſa ſphere ; il tenta de s’élancer au delà du monde viſible, & ſans ceſſe des chûtes cruelles & réitérées l’ont inutilement averti de la folie de ſon entrepriſe : il voulut être Métaphyſicien, avant d’être Phyſicien : il mépriſa les réalités, pour méditer des chimeres ; il négligea l’expérience, pour ſe repaître de Syſtêmes & de conjectures ; il n’oſa cultiver ſa raiſon, contre laquelle on eût ſoin de le prévenir de bonne heure ; il prétendit connoître ſon ſort dans les Régions imaginaires d’une autre vie, avant que de ſonger à ſe rendre heureux dans le ſéjour où il vivoit. En un mot l’homme dédaigna l’étude de la Nature pour courir après des phantômes, qui, ſemblables à ces feux trompeurs que le voyageur rencontre pendant la nuit, l’effrayerent, l’éblouirent, & lui firent quitter la route ſimple du vrai, ſans laquelle il ne peut parvenir au bonheur.