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dégoutés des biens qui ne nous ont rien coûté. L’attente du bonheur, le travail nécessaire pour se le procurer, les peintures variées & multipliées que l’imagination nous en fait, donnent à notre cerveau le mouvement dont il a besoin, lui font exercer ses facultés, mettent tous ses ressorts en jeu, en un mot lui donnent une activité agréable dont la jouissance du bonheur lui-même ne peut point nous dédommager. L’action est le véritable élément de l’esprit humain ; dès qu’il cesse d’agir il tombe dans l’ennui. Notre ame a besoin d’idées comme notre estomac d’alimens[1].

Ainsi l’impulsion que le desir nous donne est lui-même un grand bien ; il est pour l’esprit ce que l’exercice est pour le corps ; sans lui nous ne trouvons aucun plaisir dans les alimens qu’on nous présente ; c’est la soif qui rend le plaisir de boire si agréable pour nous ; la vie est un cercle perpétuel de desirs renaissans & de desirs satisfaits. Le repos n’est un bien que pour celui qui travaille ; il est une source d’ennuis, de tristesse & de vices pour celui qui n’a point travaillé. Jouir sans interruption c’est ne jouir de rien ; l’homme qui n’a rien à désirer est à coup sûr plus malheureux que celui qui souffre.

Ces réflexions fondées sur l’expérience doivent nous prouver que le mal ainsi que le bien

  1. L’avantage que les savans & les gens de lettres ont sur les ignorans et les gens désoeuvrés ou inhabitués à penser et à étudier, n’est dû qu’à la multitude et à la variété des idées que fournissent à l’esprit l’étude et la réflexion. L’esprit d’un homme qui pense, trouve plus de pâture dans un bon livre, que l’esprit d’un ignorant dans tous les plaisirs que ses richesses lui procurent. Etudier, c’est amasser un magasin d’idées. C’est la multitude et la combinaison des idées qui met tant de différence entre les hommes, et qui leur donne de l’avantage sur les autres animaux.