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choit une existence qui leur plait, qu’ils connoissent, à laquelle ils sont accoutumés ; l’autre fut l’incertitude de l’état qui devoit succéder à leur existence actuelle.

L’illustre Bacon a dit que les hommes craignent la mort par la même raison que les enfans ont peur de l’obscurité[1]. Nous nous défions naturellement de tout ce que nous ne connoissons point ; nous voulons voir clair, afin de nous garantir des objets qui nous peuvent menacer, ou pour être à portée de nous procurer ceux qui peuvent nous être utiles. L’homme qui existe ne peut se faire d’idée de la non existence ; comme cet état l’inquiéte, son imagination se met à travailler au défaut de l’expérience, pour lui peindre bien ou mal cet état incertain. Accoutumé à penser, à sentir, à être mis en action, à jouir de la société ; il voit le plus grand des malheurs dans une dissolution qui le privera des objets & des sensations que sa nature présente lui a rendu nécessaires, qui l’empêchera d’être averti de son être, qui lui ôtera ses plaisirs pour le plonger dans le néant. En le supposant même exempt de peines, il envisage toujours ce néant comme une solitude désolante, comme un amas de ténèbres profondes ; il s’y voit dans un abandon général, destitué de tout secours, & sentant la rigueur de cette affreuse situation. Mais le sommeil profond ne suffit-il pas pour nous donner une idée vraie du néant ? Ne nous prive-t-il pas de tout ? Ne semble-t-il pas nous anéantir pour l’univers ; & anéantir cet uni-

  1. Nam veluti pueri trepidant, atque omnia cœcis
    In tenebris metuunt : sic nos in luce timemus
    Interdum, nihilo quæ sunt metuenda magic...
    Lucretius Lib. III. vers. 87. & feqq.