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Mais de tous les avantages que le genre humain pourroit retirer du dogme de la fatalité ; s’il l’appliquoit à sa conduite, il n’en est point de plus grand que cette indulgence, cette tolérance universelle qui devroit être une suite de l’opinion que tout est nécessaire. En conséquence de ce principe le fataliste, s’il avoit l’ame sensible, plaindroit ses semblables, gémiroit sur leurs égaremens, chercheroit à les détromper, sans jamais s’irriter contre eux ni insulter à leur misère. De quel droit en effet haïr ou mépriser les hommes ? Leur ignorance, leurs préjugés, leurs foiblesses, leurs vices, leurs passions, ne sont-ils pas des suites inévitables de leurs mauvaises institutions ? N’en sont-ils pas assez rigoureusement punis par une foule de maux qui les assiégent de toutes parts ? Les despotes qui les accablent sous un sceptre de fer, ne sont-ils pas les victimes continuelles de leurs propres inquiétudes & de leurs défiances ? Est-il un méchant qui jouisse d’un bonheur bien pur ? Les nations ne souffrent-elles pas sans cesse de leurs préjugés & de leurs folies ? L’ignorance des chefs & la haine qu’ils ont pour la raison & la vérité ne sont-elles pas punies par la foiblesse & la ruine des états qu’ils gouvernent ? En un mot, le fataliste gémira de voir la nécessité exercer à tout moment ses jugemens sévères sur les mortels qui méconnoissent son pouvoir, ou qui sentent ses coups sans vouloir reconnoître la main, dont ils partent : il verra que l’ignorance est nécessaire ; que la crédulité en est la suite nécessaire ; que l’asservissement est une suite nécessaire de l’ignorance crédule ; que la corruption des mœurs est une suite nécessaire de l’asservissement : enfin que les malheurs des sociétés & de leurs membres sont des suites nécessaires de cette corruption.