même détruire les notions que nous avons du juste & de l’injuste, du bien & du mal, du mérite & du démérite. Je le nie ; quoique l’homme agisse nécessairement dans tout ce qu’il fait, ses actions sont justes, bonnes & méritoires toutes les fois qu’elles tendent à l’utilité réelle de ses semblables & de la société où il vit ; & l’on ne peut s’empêcher de les distinguer de celles qui nuisent réellement au bien-être de ses associés. La société est juste, bonne, digne de notre amour, quand elle procure à tous ses membres leurs besoins physiques, la sûreté, la liberté, la possession de leurs droits naturels ; c’est en quoi consiste tout le bonheur dont l’état social est susceptible ; elle est injuste, mauvaise, indigne de notre amour, quand elle est partiale pour un petit nombre & cruelle pour le plus grand ; c’est alors que nécessairement elle multiplie ses ennemis & les oblige à se venger par des actions criminelles qu’elle est forcée de punir. Ce n’est pas des caprices d’une société politique que dépendent les notions vraies du juste & de l’injuste, du bien & du mal moral, du mérite & du démérite réel ; c’est de l’utilité, c’est de la nécessité des choses, qui forceront toujours les hommes à sentir qu’il existe une façon d’agir qu’ils sont obligés d’aimer & d’approuver dans leurs semblables ou dans la société, tandis qu’il en est une autre qu’ils sont obligés par leur nature de haïr & de blâmer. C’est sur notre propre essence que sont fondées nos idées du plaisir & de la douleur, du juste & de l’injuste, du vice & de la vertu ; la seule différence, c’est que le plaisir & la douleur se font immédiatement & sur le champ sentir à notre cerveau, au lieu que les avantages de la justice & de la vertu ne se montrent souvent à nous que par une suite de réflexions & d’expé-
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