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Comme deux jeunes gens ont déjà essayé en vain de copier ces manuscrits, il s’est enfin adressé à moi pour lui trouver un habile dessinateur, et j’ai pensé à vous, mon cher monsieur Anselme, car je sais que vous écrivez très-bien et que vous dessinez aussi très-agréablement et très-purement à la plume. Si vous voulez dans ces temps difficiles, et en attendant une place, gagner chaque jour le thaler et le cadeau à la fin, alors rendez-vous demain à midi précis chez M. l’archiviste, dont vous connaissez sans doute la demeure. Mais gardez-vous de faire la moindre tache d’encre : s’il en tombe une sur la copie, il vous faudra recommencer sans pitié à partir de la première page ; mais si vous tachez l’original, l’archiviste est dans le cas de vous jeter par la fenêtre : car c’est un homme très-emporté.

L’étudiant Anselme fut ravi de la proposition du greffier Heerbrand ; car non seulement il écrivait purement et dessinait très-bien à la plume, mais c’était encore pour lui une passion de s’exercer à la calligraphie la plus difficile. Il remercia ses protecteurs dans les termes les plus polis, et promit de ne pas manquer l’heure de midi le lendemain.

Dans la nuit, il ne vit que des thalers étincelants, et il entendait aussi leur son. Qui peut en faire un reproche au pauvre garçon, qui avait vu s’envoler tant d’espérances par un caprice du hasard, et en était à regarder au moindre liard et à renoncer aux plaisirs de la jeunesse ! Déjà, le matin de bonne heure, il rassembla ses crayons, ses plumes de corbeau, son encre de Chine, car, pensa-t-il, l’archiviste ne pourra m’en procurer de meilleurs.

Avant tout, il mit en ordre ses chefs-d’œuvre calligraphiques et ses dessins pour donner à l’archiviste une idée de ses talents en ce genre. Tout alla à souhait, une étoile de bonheur semblait planer au-dessus de sa tête : son nœud de cravate réussit du premier coup, nulle maille ne s’échappa de ses bas de soie, son chapeau, une fois qu’il fut brossé, ne tomba plus dans la poussière ; en un mot, à onze heures et demie l’étudiant Anselme était là, dans son habit gris-brochet et ses pantalons de velours noir, la poche enflée du rôle de ses plus belles écritures et de ses dessins les plus habiles, et déjà dans la rue du Château, il but dans la boutique de Conrad un et même deux verres de liqueurs stomachiques, car, disait-il en frappant sur sa poche encore vide, bientôt les thalers vont résonner par là.

Malgré la longueur du chemin pour arriver à la rue solitaire où se trouvait la vieille maison de l’archiviste Lindhorst, il se trouva devant la porte avant midi. Alors il s’arrêta et regarda le beau et grand marteau de bronze ; mais lorsqu’il voulut le saisir au dernier coup frappé à l’horloge de la tour de l’église de la Croix qui vibrait en ébranlant les airs de l’éclat puissant de ses sons, alors la figure de bronze se contracta en un rire menaçant accompagné du repoussant