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la crainte que dans un subit moment d’orgueil je n’aille jeter quelques éclairs, et leur gâter leur frisure et leur habit des dimanches ; malgré tout cela je veux cependant vous venir en aide pour l’achèvement de votre œuvre, dans laquelle il est dit beaucoup de bonnes choses sur moi et sur ma chère fille mariée (je désirerais sincèrement être aussi débarrassé des deux autres).

» Si vous désirez écrire la douzième veillée, descendez vos maudits cinq étages et venez chez moi. Vous trouverez dans la chambre bleue des Palmiers, que vous connaissez déjà, tout ce qu’il vous faudra pour écrire, et vous pourrez en peu de mots raconter à vos lecteurs ce que vous aurez vu ; ce qui vaudra beaucoup mieux qu’une description diffuse d’une vie dont vous ne connaissez que ce que vous en avez entendu dire.

» Votre très-humble le salamandre Lindhorst,
archiviste intime du roi. »

Ce billet de l’archiviste Lindhorst me fut très-agréable malgré la rudesse de sa forme. Toutefois il me parut certain qu’il connaissait parfaitement la manière étrange dont j’avais été instruit des aventures de son gendre, que je m’étais engagé à ne révéler à personne, pas même à toi, cher lecteur. Il ne me paraissait pas non plus avoir pris cette indiscrétion en mauvaise part comme j’avais lieu de le craindre. Il m’offrait lui-même son puissant secours pour terminer mon œuvre, et je pouvais raisonnablement en conclure qu’il consentait à laisser publier sa merveilleuse existence dans le monde des esprits. Il est possible, pensais-je, qu’il voie là un espoir de marier plus tôt les deux filles qui lui restent, car peut-être manque-t-il au cœur de tel ou tel jeune homme cette étincelle qui allume l’amour pour le serpent vert, et qu’il pourrait chercher et trouver peut-être le jour de l’Ascension dans le feuillage du sureau.

Le malheur d’Anselme enfermé dans une bouteille de verre lui servira de leçon pour se garder sérieusement du moindre doute.

Au dernier coup de onze heures j’éteignis ma lampe de travail et je me glissai chez l’archiviste Lindhorst, qui m’attendait dans le vestibule.

— Vous voici déjà, me dit-il, je suis enchanté que vous n’ayez pas méconnu mes bonnes intentions, entrez donc !

Et il me conduisit à travers des jardins éblouissants de lumière dans la chambre bleu d’azur, dans laquelle j’aperçus la table violette sur laquelle Anselme avait travaillé.

L’archiviste disparut et reparut aussitôt tenant à la main une belle coupe d’or d’où s’échappait en pétillant une flamme bleue.

— Je vous apporte ici, me dit-il, la boisson favorite de votre ami le maître de chapelle Jean Kreisler. C’est de l’arack que j’ai allumé après y avoir jeté quelques morceaux de sucre. Goûtez-y un peu. Je vais me défaire de ma robe de chambre, et, pour me distraire et jouir de votre société, pendant que vous vous mettrez à écrire, à regarder, et à écrire encore, je veux monter et descendre tour à tour dans la coupe.

— Comme il vous plaira, très-estimable archiviste, lui dis-je, mais lorsque je voudrai boire vous ne…

— Ne craignez rien, me répondit-il, et il se défit rapidement de sa robe de chambre, monta à mon grand étonnement dans le vase et disparut dans les flammes. Sans la moindre crainte, en écartant de mon souffle doucement le feu je goûtai le breuvage ; il était délicieux.


Les feuilles d’émeraude du palmier ne frissonnent-elles pas avec un doux murmure et un léger bruit, comme caressées par le souffle du vent du matin ? Éveillées de leur sommeil, elles s’abaissent, s’agitent et parlent avec mystère de prodiges que des sons de harpe, accourus comme des lointains, viennent annoncer. L’azur se détache des murailles et roule comme un nuage odorant en montant et en redescendant sans cesse.

Mais des rayons éblouissants déchirent la vapeur, qui tourne comme dans une joie enfantine et s’élève en tourbillonnant jusqu’à la voûte immense qui s’élève au-dessus du palmier.

Les éclairs se succèdent toujours plus éclatants jusqu’au moment où je vois un bois à perte de vue en plein soleil.

Là j’aperçus Anselme.

Des hyacinthes enflammées, des tulipes et des roses élèvent leur tête, et leurs parfums lui disent dans leur charmant langage :

Erre parmi nous, bien-aimé, toi qui nous comprends, notre parfum est un amoureux désir, nous t’aimons et t’appartenons pour toujours ! Les rayons d’or brûlent avec la couleur de feu, nous sommes le feu allumé par l’amour. Le parfum est le désir, mais le feu est la passion, et ne vivons-nous pas dans ton âme, nous sommes à toi !

Les sombres bocages frémissent et murmurent et les grands arbres aussi :

Viens à nous, bienheureux ! bien-aimé ! le feu est la passion, mais notre ombrage frais est l’espérance, nous caresserons ta tête de nos chuchotements amoureux, car tu nous comprends, parce que l’amour est dans ton cœur.