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traits maladroits faits comme par des écoliers gâtaient souvent la régularité des lignes.

— Et, continua l’archiviste, votre encre ne tient pas non plus.

Il trempa le doigt dans un verre rempli d’eau, et à peine en eut-il aspergé les lettres que tout disparut complétement.

Anselme était comme si un spectre lui eût serré la gorge. Il ne pouvait pas prononcer un seul mot. Il resta là debout la malheureuse feuille à la main ; mais l’archiviste se mit à rire bruyamment et lui dit :

— Ne vous laissez pas abattre, monsieur Anselme ; ce que vous n’avez pas réussi jusqu’à ce moment vous sera peut-être ici plus facile. Commencez seulement avec courage !

L’archiviste Lindhorst alla chercher une masse noire et liquide qui répandait un parfum tout particulier, des plumes taillées avec une finesse extrême, et une feuille d’une blancheur et d’un poli particuliers, et puis en même temps un manuscrit arabe, qu’il prit dans une armoire fermée, et il quitta la chambre aussitôt qu’Anselme commença à travailler.

Anselme avait souvent copié de l’arabe, et le premier problème ne lui parut pas difficile à résoudre.

— Comment les faux traits se sont trouvés dans ma belle expédiée anglaise, disait-il, Dieu et l’archiviste Lindhuorst le savent, mais je veux mourir s’ils sont de ma main.

Avec chaque mot réussi sur le parchemin il sentait renaître son habileté et son courage, et au fait il travaillait avec d’admirables plumes et l’encre mystérieuse coulait noire comme le corbeau et nette sur le parchemin éblouissant. Lorsqu’il travaillait avec tant d’ardeur et d’attention, il lui semblait que la vaste chambre solitaire devenait encore plus étrange ; et il s’était tout à fait abandonné au travail qu’il espérait terminer heureusement, lorsqu’au coup de trois heures l’archiviste l’appela de la chambre à côté pour prendre son repas. À table l’archiviste fut de la meilleure humeur ; il lui demanda des nouvelles de ses amis le recteur Paulmann et le greffier Heerbrand, et il sut raconter d’eux beaucoup de choses divertissantes. Le vieux vin du Rhin plaisait beaucoup à Anselme et le rendait plus expansif qu’il ne l’était ordinairement. À quatre heures précises il se leva pour retourner à son travail, et cette exactitude parut plaire beaucoup à l’archiviste.

Si la copie lui avait plu avant le repas, elle lui fut bien plus facile après ; il ne pouvait même comprendre l’aisance et la rapidité avec lesquelles il imitait les traits recourbés de l’écriture étrangère. Une voix semblait lui murmurer en lui-même ces mots bien distincts :

— Ah ! pourrais-tu faire cela si tu ne la portais pas dans ton cœur, si tu ne croyais pas à elle et à son amour ?

Alors tremblait dans la chambre comme une douce, bien douce vibration du cristal qui murmurait :

— Je suis près, près, près, je t’aide, sois courageux, sois ferme, cher Anselme ! je fais aussi mes efforts pour que tu sois à moi.

Et lorsque tout ravi il entendait ces paroles, les signes inconnus lui devenaient plus faciles à comprendre ; il avait à peine besoin de regarder l’original. C’était comme si les signes étaient déjà sur son parchemin en écriture plus pâle et qu’il n’eût plus qu’à les couvrir de noir avec une main exercée. Ainsi il travaillait entouré d’accords agréables et encourageants comme exhalés par un tendre souffle, jusqu’à ce que la cloche sonna six heures.

Alors l’archiviste entra dans la chambre. Il vint avec un rire singulier vers la table. Anselme se leva sans rien dire, et l’archiviste le regardait en souriant toujours d’un air moqueur ; mais à peine eut-il jeté un coup d’œil sur la copie, que son rire se changea en un sérieux solennel dans lequel se contractèrent les muscles de son visage. Bientôt il ne parut plus être le même. Ses yeux, qui ordinairement brillaient d’un feu étincelant, s’attachèrent sur Anselme avec une expression de douceur ineffable, une légère rougeur couvrit ses joues pâles, et au lieu de l’ironie qui d’ordinaire serrait sa bouche, ses lèvres parurent s’ouvrir gracieuses et bien formées pour prononcer des paroles pleines de sagesse et portées à la douceur. Toute sa personne devint plus grande et plus digne, sa large robe de chambre se drapa comme un manteau royal, et sur les blanches boucles placées sur son grand front ouvert se cercla un mince filet d’or.

— Jeune homme, dit-il d’un ton majestueux, j’ai connu avant que tu aies pu le pressentir tous les rapport secrets qui te lient à ce que j’ai de plus saint et de plus cher. Serpentine t’aime, et une singulière histoire dont les fils mystérieux sont tressés par un pouvoir ennemi se trouve accomplie. Si tu la possèdes et si tu conquiers le pot d’or, la dot indispensable qui est sa propriété, du combat seulement sortira ton bonheur dans une vie plus haute. Tu seras attaqué par des principes ennemis, et seulement la force intérieure que tu opposeras peut te sauver de l’avilissement et de la perte. Pendant que tu travailles ici, tu surmontes ton temps d’épreuve. La foi et la science te conduiront au but prochain si tu persévères fermement dans ce que tu auras entrepris. Porte fidèlement en ton âme celle qui t’aime, et tu verras les admirables prodiges du pot d’or, et tu seras heureux pour toujours. Adieu ! L’archiviste Lindhorst t’attend demain à midi dans son cabinet. Adieu !

L’archiviste poussa doucement Anselme jusqu’à la porte, qu’il