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vagabond, mais bon apprenti chez quelque maître et qui, cela est risible à dire, malgré toute la dépravation qui court les rues, a cependant un certain point d’honneur, et ne manque pas d’un certain esprit naturel de saillies.

MOI. — Laisse-moi pourtant te dire, en passant, cher cousin, combien une de ces maudites saillies populaires m’a révolté dernièrement. Je sors par la porte de Brandebourg, je suis poursuivi par les cochers de fiacre de Charlottenbourg, qui m’offrent de monter dans leur voiture. L’un d’eux, un gamin de seize à dix-sept ans au plus, pousse l’impudence jusqu’à me saisir par le bras avec ses mains sales : « Veux-tu bien me lâcher ! lui dis-je tout en colère. — Eh mais ! me répond tout bonnement le gamin en me regardant en face fixement, eh ! mais, Monsieur, pourquoi donc vous lâcher ? auriez-vous peur d’être arrêté ? »

LE COUSIN. — Ha ! ha ! cette saillie en est vraiment une, mais sortie des fosses puantes de la plus profonde dépravation. Les pointes des fruitières de Berlin étaient jadis célèbres, et on leur faisait même l’honneur de les appeler shakspeariennes, bien que, considérées plus attentivement, leur énergie et leur originalité consistaient avant tout dans une impudente effronterie qui leur faisait prendre pour un ragoût très épicé ce qui n’était que de basses grossièretés. Autrefois le marché était le théâtre de disputes, de batailles, de tricheries, de vols, et pas une honnête femme ne pouvait se hasarder à surveiller elle-même ses emplettes, sans s’y exposer aux plus grands outrages. Car non seulement alors les revendeurs étaient en lutte entre eux, mais avec tous les acheteurs ; il y avait aussi des hommes qui prenaient à tâche de provoquer du